Le Chemin
Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu être un garçon. J’ai toujours imaginé (puis écris) des histoires dont j’étais le héros. Détective, prince ou pirate, avocat puis réalisateur, je me plaisais à vivre dans ces rôles imaginaires que je me donnais, rôles d’ailleurs souvent, il faut l’avouer, un peu prétexte à séduire (virtuellement donc…) des filles… Cette sensation de liberté fait de l’enfance une période merveilleuse car elle permet de s’épanouir pleinement, sans introspection, sans comparaisons, sans jugements – des autres ou de soi-même -, sans culpabilité, sans peines…
À cette époque je ne cherchais pas à comprendre le pourquoi du comment (pourquoi l’aurais-je fais ?), ça me paraissais normal ; enfant unique, j’avais mon monde imaginaire et m’y plaisais. Je n’ai jamais vraiment vu le décalage entre mon corps et mon esprit fougueux de jeune garçon, du moins, jusqu’à ce que la souffrance (et la haine / jalousie, du coup, des garçons) dû à la frustration n’apparaisse, à l’adolescence (puberté / prise de conscience de ma différence/frustration durant l’année de seconde qui fut d’ailleurs très très dure, sans que je puisse encore expliquer pourquoi). Je n’ai jamais non plus vraiment regardé mon corps, sauf petit où je trouvais ça bizarre quand même (du moins, encore une fois, jusqu’à ce que celui-ci change), après avoir accepté (avec honte de m’être « trompé ») qu’il était « normal », j’étais plutôt bien dedans, faisais ce qu’il me plaisais, jouais au foot, grimpais dans les cabanes, construisais des châteaux de sable que je défendais contre vents et marrées, en somme, ne me préoccupais pas du paraître mais seulement de l’être. Et cet être était bien, joyeux, heureux, et avait de nombreux amis.
Et puis l’adolescence est arrivée, période bizarre, entre le milieu du collège ou je me proclamais « 100% hétéro » (j’ai mis beaucoup de temps à comprendre cette drôle d’affirmation avait pu vouloir dire) et le lycée ou je m’avouais difficilement homo (que pouvais-je être d’autre, puisque j’aimais les filles ?), tout en étant absolument incapable de me concevoir avec une fille. Ce paradoxe a été le début de ma souffrance. Comment faire, dès lors, pour être heureux ? Profondément mec dans ma tête (et dans mes « vies parallèles » développées comme de multiples fantasmes imaginaires dès que je me retrouvais seul dans ma chambre), j’étais incapable, bien qu’attiré uniquement par les filles, d’agir. Car si la perspective de deux filles entre elles me plaisais – euphémisme ! – beaucoup, il était absolument impossible pour moi (ça l’est toujours) de me projeter, en tant que fille, avec une fille. La perspective de nos deux corps identiques me bloquais, rien à faire, j’avais simplement envie d’elles en tant que mec, et ne pouvais pas affronter leur regard ou caresse sur ce corps de fille. Je voulais juste leur faire l’amour en tant que mec, pouvoir les laisser me toucher sans éprouver de la honte ou du dégoût de moi-même.
Ce qui m’intrigue aujourd’hui est que jamais, jusqu’à un pur hasard de déambulations internautiques, je n’ai envisagé la transexualité, je n’avais pas vu le « lien »… Sans doute à cause de mon inculture dans le domaine et de mes préjugés (l’existence de FTM ne m’avais pas d’ailleurs pas effleuré l’esprit), j’avais simplement l’impression de vivre un horrible paradoxe (ne pas me sentir fille et désirer plus que tout être un mec) sans pouvoir imaginer que cela puisse être possible. Surtout que, fondamentalement, ce corps de fille, je ne le détestais pas « en tant que corps de fille », il me gênait simplement dans mes rapports avec la sexualité et je voyais surtout un décalage : soit cela ne me plaisait pas (forme des cuisses / hanches) soit je trouvais ça féminin mais bizarre sur moi (seins, visages trop fin, jambes épilées, ça « faisait femme ») sans pour autant remettre en cause le truc (qui paraissait évident, « c’est mon corps, c’est moi »…).
D’ailleurs, ma première réaction (après le choc) a été de me dire que ce n’était, effectivement, pas possible… Devoir affronter tant de problèmes, renoncer à une carapace de fille bien rodée et que je commençais à accepter pour un corps imparfait et une situation encore plus marginale. Le rêve du « couple-hétéro-parfait » ne me serais donc jamais accessible, pourquoi donc, alors, affronter tant de problèmes ??